Cet article est une mise à jour. Il a été initialement publié le 16 octobre 2020.
Dans les lignes qui suivent, je vais vous parler de la poésie de Bénicien Bouschedy, poète et auteur gabonais. S’il est vrai que je n’aime pas commenter et restituer la poésie, j’aime bien en consommer. C’est un genre littéraire qui allie esthétique, rythme et concision. Je ne lis pas la poésie comme je lis un roman ou un essai. Je m’approprie les poèmes en les faisant sonner, danser et vivre dans ma tête. Oui, il m’arrive régullièrement de les lire à voix haute. Cependant, lorsque je dois en discuter, comme maintenant, je me demande toujours sur quoi je dois insister : le sens général du poème, sa valeur du poème, ou la manière dont je me le suis approprié ?Pour ce billet, j’ai eu encore plus de mal à me décider, car je ne vais pas faire une restitution sur un poème ni sur un recueil de poèmes, mais sur trois recueils de poésie que j’ai lu récemment.

Je remontais mon fil d’actualité Facebook lorsque je suis tombée sur la recommandation d’abonnement à la page de Bénicien Bouschedy. A l’époque, ce nom ne m’évoquait personne mais pour satisfaire ma curiosité, je décide de « cliquer ». Je découvre alors les écrits d’un citoyen gabonais qui n’a pas la langue dans la poche. Il ne tourne pas autour du pot. Il dénonce ce qui ne fonctionne pas au Gabon. Comme très souvent lorsque je me retrouve en face de tels textes, je me dis « un de plus ». Ce n’est pas insultant. Pour moi, « un de plus » signifie un indigné de plus, un révolté de plus, un mécontent de plus. Il y a en effet beaucoup de choses ne fonctionnent pas normalement au Gabon. Je lis attentivement les publications de Bénicien Bouschedy. Je suis frappée par la pertinence de son propos et il ne m’en faut pas plus pour m’abonner à son contenu et surveiller attentivement chaque nouvelle publication.
Le livre, le pouvoir de changer les choses.
Rêve Mortel, Silences de la contestation, Cendre de Maux, des titres de livres qui ne passent pas inaperçus dans le cercle des poètes gabonais. Ce sont les trois recueils de poésie de Bénicien Bouschedy que j’ai lus. Ces titres, comme les textes que le poète partage sur les réseaux sociaux et dans la presse écrite, convoquent l’imaginaire et la responsabilité du lecteur.
J’ai choisi de lire en même temps ces trois recueils poétiques pour vous parler de son écriture au lieu d’en écrire trois critiques littéraires. En effet, ce qui m’interpelle lorsque je lis ce poète, c’est la constance de ses dires qui gravitent autour de la contestation sociale.
Lutter avec les mots, entre réalisme et utopie.
Lire Bénicien Bouschedy c’est lire une cartographie sociale du Gabon. Une recherche brève sur Internet vous donnera un aperçu de la situation sociale, économique et politique de ce pays situé en Afrique centrale. Quelques échanges avec les Gabonais vous feront découvrir le paradoxe gabonais : un pays plein de richesses et de misère, un pays peuplé de talents et de parasites. C’est contre ces derniers que s’élève la voix de notre poète. Dans les trois recueils poétiques que j’ai cités, Bénicien Bouschedy fait de sa prose une arène dans laquelle il mène un combat de mots pour venir à bout des maux qui parasitent son pays et le plonge dans une nuit sans fin depuis plusieurs décennies.
« (…) ces querelles insidieuses jugent la gestion minable de
l’oreille du seigneur
sourde aux pleurs des siens mais attentive aux infimes
lamentations extérieures
vague urgence debout à l’aurore enveloppée de misères
boudeuses
cette bouche affamée qui crie ne se nourrira d’espoirs
et de promesses
nulle ombre vivante ne triomphera des abîmes de ce
quartier sans sourires
les mains debout se soumettent aux prieures
corrompues
mais l’azur en deuil sait peu de choses de ces sanglots
insignifiants
comme ces résignés, nos enfants n’hériteront que des
semences des plaintes »
Des plaintes qu’hériteront nos enfants, Bénicien Bouschedy, Cendres de Maux.
Bénicien Bouschedy, une langue avant tout.
Foisonnante, colérique, sèche et parfois impudente et abjecte. Pour moi, la langue de Bénicien Bouschedy n’a pas ses pairs en littérature gabonaise. Ce poète a un style propre, un phrasé particulier qu’on apprécie ou qu’on déprécie. Ses mots sont choisis avec un soin particulier et même si en lisant ses oeuvres on reconnaît son trait d’écriture, on n’a pas une impression de déjà lu. En effet, les métaphores, les suggestions et les figures de style sont renouvelées. Ce poète réussit à garder notre intérêt dans chacun de ses recueils alors qu’ils ont le même fil conducteur.
Ainsi, dans Rêve Mortel, « l’auteur invite à se vêtir de courage, à résister, à se révolter contre toutes les ignominies despotiques et leurs complices, pour sauver l’Afrique ». Dans Cendre de Maux, il réduit « en cendres « les dégoûts, les aliénations actives, les cris de dominations, les monologues d’images politiques, … » pour faire éclore une humanité qui s’envisage à travers des imaginaires plus ambitieux ». Enfin, dans Silences de la contestation, l’auteur se fait « la voix des sans voix », sans ponctuation, pour crier à la médiocrité de nos démocraties, à l’injustice et à l’inéquité devenues symboles de normalité, aux silences des douleurs, des solitudes, et des misères qui nous rongent mais que l’on n’a plus la force de contester.
« (…) Afrique des nostalgies
le sang de la liberté revendiquée coule aux sillons des
larmes du souvenir
les idées cloitrées de tes Présidents-Imbéciles-
Dictateurs-Stupides-Meurtriers-Culs-Troués font
perdurer la sorcellerie qui ruine la fierté d’être chez toi
au détriment des faucons de la gabegie t’ayant élevée
refuge vivant du mal-être »
Les chemins d’Afrique, Bénicien Bouschedy, Cendres des Maux.
Attention cependant à ne pas tomber dans le boursouffler ! Si sa langue le rend singulier dans le milieu assez conformiste de la littérature gabonaise, malheureusement, il ne manque pas, à certains moments, de le faire tomber dans l’ampouler. À vouloir peut être trop exprimer ce qu’il ressent, l’imager et marquer l’esprit des lecteurs, parfois le poète charge malheureusement certains textes, quitte à heurter la sensibilité du lecteur. Le mot de trop n’est jamais loin. Le risque, dans cette configuration, c’est que le lecteur fasse passer l’auteur avant son texte et lui colle une étiquette en oubliant la portée du message.
« (…)Je porte les charges de cette société mienne et
reflète ses conditions d’existence dans ces terres
affamées de défis, où je naquis des cendres de fierté.
Terre sanguinaire,
Bâtie sur des plaines mensongères
Plaines de violences
Qui ne cessent de servir la rapine.
Là-bas, comme des cavaliers, où la politique
s’élance, l’épée étincelant la main
Compte ses blessés par races,
Sa foule de cadavres par nations,
Des morts à l’infini, privés d’histoire, qui font tomber
sur d’autres morts les accusations de rebellions :
contradictions politiques,
À cause de ses prostituées qui baisent les nations
Face aux peuples qu’elle enivre de ses
enchantements,
Je régurgite leurs impuretés qui font de moi martyr-
complice de leur silence; et j’écris.
J’écris pour nos martyrs, nos braves soldats qui
frappaient sur leur poitrine pour la fierté d’affranchir,
au pied du calvaire l’épais nuage de la liberté.
J’écris pour avoir tiré de leurs poumons mon courage. »
Rêve Mortel, Bénicien Bouschedy, Rêve Mortel.
Fort heureusement, ces mises en garde que j’émets ne diminuent pas la force scripturale des poèmes de Bénicien Bouschedy. Ils offrent une lecture agréable. Ils créent plusieurs émotions. Et plus important pour moi, ils poussent à la réflexion ! Qui sait, peut-être que cette réflexion contraindra le lecteur à l’action à son tour ?
A ce stade, vous l’avez sans doute compris, je vous encourage à découvrir les travaux de ce poète. Il n’est pas nécessaire de respecter un ordre, si ce n’est celui des dates de parution : Silences de la contestation (2016), Rêve Mortel (2017), Cendre de Maux (2018). Ce qui compte, c’est s’autoriser à découvrir des écrits singuliers, la pertinence d’une poésie, un ton grave, une langue déliée.
Régler ses comptes !
Comme « les pensées peuvent vivre longtemps comme les nébuleuses qu’un rien un jour cristallise », Bénicien Bouschédy saisit les possibilités qu’offre la poésie pour dégager avec ses mots, les contours imprécis de cet amas d’incertitude et de résignation qui flotte dans le ciel gabonais en particulier, dans les cieux africains en général.
Pour le Gabon, dans ces trois recueils, je retiens un parallèle entre deux mondes. Dans le premier tableau, j’ai vu défilé les émois d’un citoyen désabusé que l’apitoiement a poussé à prendre les armes : les mots. En face, dans le deuxième tableau, des figures de styles et des superpositions d’images créent des vers qui, sans suprise, peignent une élite riche de tout. Les textes de Bénicien Bouschedy deviennent, dès lors, le ring sur lequel s’affrontent dominants et dominés, perdus entre désillusions et rêves fous pour le Gabon.
En lisant l’actualité du Gabon, je me dis souvent qu’être Gabonais c’est se transmettre des traumatismes de générations en générations. Etre Gabonais, c’est avoir un héritage encombrant. Être Gabonais, aujourd’hui, c’est naviguer en permanence entre la fierté d’appartenir à une belle patrie, riche de ses cultures et de son histoire, une partie pleine de potentiels humains et matériels ; et la honte de devoir reconnaître que tout ceci n’est vrai qu’en théorie. Etre Gabonais, c’est être originaire de villes sans routes vicinales, et dans lesquelles, les conversations, les corps et les mentalités portent les marques de la résignation comme la peau garde sur elle les cicatrices des plaies de l’enfance que l’on emmène partout avec nous : « on va encore faire comment ? »
Penser le Gabon pour panser ses plaies.
J’ai également relevé qu’il y a beaucoup de colère dans l’écriture de Bénicien Bouschedy. Une colère qui est toutefois à sa place et qui, paradoxalement, semble sublimer des blessures typiquement gabonaises. Heureusement que dans ce capharnaüm, l’espoir n’est jamais loin ! Je vous préviens, certains vers vous paraîtront nus, défaitistes, traumatiques et lourds. Il y aura des passages que vous aimerez et d’autres que vous détesterez. De même, certaines fois, les mots du poète vous feront détourner l’oeil, vous mettront mal à l’aise parce que vous n’aurez pas vu venir le mot de trop. Mais en refermant chacun de ces trois recueils poétiques, vous ne resterez pas insensibles à tant de fougue, de rage et de réalisme.
Concernant la colère que j’évoque, j’insiste sur le fait qu’elle cotoie une violence sous-jacente. Mais, on peut légitimement se demander s’il est question de violence car ce que vous lirez chez Bouschedy n’est pas ce qu’il y a de plus violent. Du moins, dans le cas du Gabon. Pendant cette lecture triple, j’ai beaucoup réfléchi au concept de la violence et voici ce que j’en pense : il n’y a pas pire violence que celle qui est exercée par l’autorité publique.
La violence de ceux qui portent l’Uniforme est la plus « violente ». Elle est la plus intolérable car elle va à l’encontre de la chose publique. C’est ce qu’exprime Bénicien Bouschedy dans ses poèmes. Et honnêtement, nous en avons besoin. Nous avons besoin d’être portés par cet élan patriotique et poétique pour marcher et continuer à rêver.
« (…)Dans les flots dévastateurs de misères tous bords dressés
Mon doigt indexera le rire qui brise l’arbitraire des
justices mutilées à fuir
Oubliées
Au bout du tour de ce bout tout court autour du
silence des paupières qui battent les démissions forcées
finement par les mains noires
Je monte les faims des corbeaux sous la vigilance des
aigles tirant les sabots du cheval décapité
Voué sans doute à une pure mission d’expérimenter la
douleur en ce monde malheureux
Que même l’apport aux rapports de violences ne
porterait la terne fierté quand viendra le demain souhaité
Pour nos enfants rêvés
Je monte les cendres des ancêtres emportés dans le
soupçon de la révolte qui ferme l’image vierge de leurs
descendants en quête d’identité
Au crépuscule du devoir de violence dans le choc des
différences que le soleil dans sa mort lente enthousiasme
de pathétique les vies dévêtues »
Silences de la contestation, Bénicien Bouschedy, Silences de la contestation.
Pour finir.
Lire Bénicien Bouschedy, c’est lire des mots dont le magnétisme happe et pousse à l’action. Chacun de ces trois recueil de poésie mérite qu’on s’y penche. Bénicien Bouschedy écrit une poésie au vocabulaire volontairement simple pour créer une proximité avec son lecteur. La trilogie poétique de Bouschedy (Silences de la contestation, Cendre de Maux et Rêve Mortel) explorent le Gabon, l’Afrique et d’une certaine façon le monde, pour traduire, de la façon la plus accessible qui soit, le désespoir et l’espoir.
J’aimerai finir ce billet en disant merci au poète pour la liberté avec laquelle il écrit et se fait la voix des sans voix. Dans un pays où on n’a pas la liberté de dire ce que l’on pense de la gestion de la chose publique, très peu de voix osent s’élever publiquement par peur de représailles. Les mots sont-ils ce qui permet à Bénicien Bouschedy d’être libre de dire à sa façon ce que l’on sait mais que l’on tait au Gabon ?
La lectrice et la citoyenne gabonaise que je suis ne peut tout de même pas s’empêcher de s’inquiéter, et de penser que parfois les mots ne nous rendent pas forcément plus libres. En effet, les mots qui sortent de notre bouche ont leurs conséquences. Tant qu’ils sont en nous, nous les maîtrisons et c’est peut-être seulement à ce niveau que nous sommes libres d’en faire ce que nous voulons. Cependant, une fois que nous nous en servons, en les écrivant par exemple, nous devenons leurs serviteurs. Ils ne nous appartiennnent plus et chacun peut en faire ce qu’il veut…
Quoi qu’il en soit, les mots de Bénicien Bouschedy comptent parce qu’ils nomment l’injustice, l’inégalité, l’inéquité, la misère, la corruption, la peur, les rêves interdits, la désolation, la résignation, l’espoir… Et comme « nommer c’est dévoiler, et dévoiler c’est déjà agir », une fois de plus, lisons ces trois recueils pour continuer d’agir ensemble.
Merci de me lire ❤