
Lorsqu’on a lu les autres textes de Bénicien Bouschedy, on reconnaît très vite, dans Nombril Équatorial, sa plume et sa façon de mettre en relief le drame (des) gabonais :
- Même si le poète en appelle à « l’invention d’une réalité (dans laquelle) l’Homme est un être sans couleurs ni genre, libre et communiquant de tous les horizons ».
- Quand bien même il se présente comme « le poète de la moisson humaine, un homme sans patrie ».
- Bien qu’il soit, pour son préfacier, un « concierge de la République ».
Dans Nombril Équatorial, ce drame (gabonais) se révèle à nous avec sa part d’ombres et de lumières, ses petits et ses grands malheurs, ses espoirs et ses désespoirs. Ce long poème de dénonciation m’a offert le cadeau d’un agréable moment de lecture, tout en réussissant à peindre avec beaucoup d’aplomb, de justesse et de subtilité, le monde fou dans lequel vivent les Gabonais.
Bénicien Bouschedy n’est pas un nouvel entrant dans le paysage littéraire gabonais. En effet, au fil des années, sa poésie et ses prises de parole sont devenues incontournables. En 2016, le recueil de poésie Silences de la contestation parait et bouscule ceux qui s’y plongent. Suivent ensuite Rêves mortels (2017) et Cendres de maux (2018) dans lesquels on retrouve également une prose enflammée et engagée. Silences de la contestation, Rêve mortel, Cendres de maux et aujourd’hui, Nombril Équatorial sont à mes yeux des livres-lieux, des carrefours culturels dans lesquels on s’imprègne de la force extraordinaire que donnent les voix de ceux et celles qui luttent, osent et disent.
D’ailleurs, les questions de la voix et de la place sont au cœur de ces recueils. Concernant la voix, il y a d’abord la voix du poète qui s’élève et dénonce les incohérences d’un modèle de gouvernance. Il y a ensuite et surtout, celles des autres, les sans-voix, auxquels il prête la sienne, en s’épanchant sur leurs douleurs, en légitimant leurs espoirs et leurs rêves interdits. Ce sont les enfants, les jeunes, les femmes, les personnes âgés, les chômeurs, les retraités, les prisonniers politiques, et les martyrs.
Quant à la place, omniprésente dans l’œuvre de Bénicien Bouschedy, il s’agit principalement de celle qu’on choisit d’occuper ou de se construire dans un lieu. Le Gabon, évidemment. Il est question de la place de l’écrivain-e, celle de l’artiste, celle des femmes, celle des hommes, celle des jeunes, celle des politicien-nes, celle de ceux et celles qui gouvernent, celle de ceux et celles qui s’opposent, celle de ceux et celles qui entreprennent, celle des représentants culturels, celle des responsables religieux. Qu’il s’agisse de la voix ou de la place, Bénicien Bouschedy écrit finalement pour dire à la société gabonaise qu’elle ne peut pas continuer à faire ce qu’elle fait et à être comme elle est. Il exprime à travers ses poèmes, les tremblements visibles et invisibles d’un Gabon qui doit changer en déboulonnant ses mauvaises habitudes.
Revenons à Nombril Équatorial. C’est un long poème d’une grande lucidité sur le Gabon. J’ai été marquée par l’ambiance et la poétique kafkaïennes qui émergent de cet état des lieux de Malinga*. Ici, la République est complètement déshumanisée. C’est déstabilisant, d’autant plus que des touches d’humour à peine perceptibles sont distillées, et viennent ainsi épicées ou alourdir l’ensemble que je n’espère juste pas prémonitoire. Car ce qui fait la force de la poésie de Bénicien Bouschedy, c’est que ce qu’il raconte du Gabon peut sembler invraisemblable, tant le contenu de sa satire parait éloigner d’une réalité possible. Hélas, lorsqu’on est Gabonais, on n’a pas besoin d’être né à Malinga pour donner du crédit à ce réquisitoire, et réaliser que la poésie de Bénicien Bouschedy n’est pas du tout fictionnelle. Elle a un ancrage territorial fort. Du reste, ce rapport véridique à la réalité a rendu à certains moments ma lecture anxiogène, car je m’émouvais et craignais pour mon peuple et pour l’avenir de mon petit pays.
Si j’ai été touchée et bousculée, j’émets cependant un bémol sur la préface rédigée par Patrice Nganang. Pour moi, elle manque de simplicité et cet extrait repris en quatrième de couverture l’illustre assez bien :
« La beauté du nombril est qu’il est union entre corps et espaces, entre mère et enfant, mais aussi, dans sa présence modeste, humble au milieu du ventre, il est ce Gabon qui se plante au cœur de l’Afrique pour lui rappeler sa pulsion de vie, et son ancrage dans un passé profond. Le nombril est le rappel constant de la naissance du corps dans « la souche du cordon ombilical » – et août qui était indépendance, qui était promesse comme l’est le placenta, qui était fabrication d’une république cependant demeurée bancale, parce que peuplée de citoyens frappés de peur. Un peuple tétanisé ne peut pas faire son histoire qui, ainsi, demeure promesse, obligation à se retourner dans le corps de la mère, mais ce peut aussi être celui de la femme, ce retour perpétuel qui est amour, désir et son assouvissement, mais aussi interdit car inceste. Le futur est obligation, mais est-il vivable véritablement ? »
Malgré cette réserve, j’ai aimé cheminer avec cette poésie visuelle. J’ai essayé de deviner le plaisir et la torture qu’a éprouvé le poète en écrivant ses vers.
Pour finir, pour ce qu’il apporte dans le paysage littéraire gabonais, et parce que sa poésie est résolument contemporaine, sans être une poésie du terroir, mais une poésie née des maux de ceux et celles qui l’habitent cependant, je vous recommande la lecture de Nombril Équatorial. Mais, attention : avec l’échéance politique de 2023 au Gabon, lire cette poésie s’apparentera à plonger dans une mer agitée !
Merci de me lire ❤
Malinga : localité située dans la province de la Ngounié au Gabon. Bénicien Bouschedy y est né.