
Chose promise, chose due : voici enfin l’article qui vient clôturer mes retours de lecture des livres que j’ai lus en 2021 pour Le Prix Les Afriques !
MÈRE À MÈRE, Sindiwe Magona – Mémoires d’encrier
Ce roman parle de l’apartheid et des héritages douloureux qu’il a engendrés en Afrique du Sud. Ici, l’autrice romance un fait réel qui s’est produit à proximité de sa résidence au Cap en Afrique du Sud : l’assassinat d’une étudiante blanche de nationalité américaine dans un town-ship de Guguletu.

Amy Biehl, boursière Fulbright, est tuée en Afrique du Sud la veille de son voyage retour aux Etats-Unis, par le fils d’un voisin de l’auteure Sindiwe Magona. Cette situation inspire à l’autrice la trame de Mère à Mère : une lettre romancée de la mère du présumé coupable adressée à celle de la victime.
Dans cette très longue lettre, Mandisa, la mère du tueur présumé tente de dire à l’autre mère éplorée qui elle est, qui est son fils, ce qu’est l’apartheid, la violence qui en résulte et qui a conduit à la mort prématurée de sa fille. Arrivera-t-elle à dire l’indicible ? Madame Biehl trouvera t-elle une once de consolation dans cet indicible qui ne justifie, ni ne condamne le crime commis ; mais qui, d’une part, tente d’expliquer le geste de Mxolisi, et d’autre part, explore avec une justesse et une beauté saisissable et émouvante, la violence qui gangrène la société sud-africaine de 1993 ?
Les allers-retours entre la vie de la narratrice Mandisa (son enfance, son arrivée brutale dans les townships, la naissance de ses enfants) et son fils Mxolisi sont réussis car ils sont portés par une écriture qui va droit au but. Néanmoins, je trouve que la place accordée à Mxolisi n’est pas conséquente dans la lettre que sa mère écrit. Je m’attendais à en savoir plus sur lui, car il est le personnage central du roman.
Dans cette fiction, on voit comment le système d’apartheid a déplacé plusieurs familles sud-africaines pour les entasser aux périphéries des villes. On voit comment la violence et la résignation naissent et comment les Noirs essaient de s’en sortir au jour le jour. Mais pour moi, il y a un traitement inégal dans ce qui nous permet de saisir l’âme des personnages principaux, en l’occurrence Mandisa (la mère) et Mxolisi (le fils accusé de meurtre). J’en ai plus appris sur la mère que sur son fils. J’ai donc cherché un élément factuel qui pourrait à lui seul expliquer l’acte présumé, mais je ne l’ai pas trouvé. J’ai alors imaginé à quel point l’injustice, la rage et la résignation peuvent conduire un jeune sans histoires à commettre l’irréparable. C’est le grand reproche que je fais à ce roman qui, malgré tout, reste important.
Finalemet, dans Mère à Mère, il y a une écriture qui va à l’essentiel et réussit à émouvoir. Mère à Mère est un roman utile pour que jamais on n’oublie cette période sombre de l’histoire sud-africaine et de l’humanité. C’est aussi un leg important pour les autres générations.
LES LUMIERES D’OUJDA, Marc Alxandre Oho Bambé – Calmann Lévy
C’est un roman qui interroge avec humanité et poésie les chemins de l’exil. La grande question de ce livre est “pourquoi on part ?”

L’écriture de Marc Alexandre Oho Bambé est originale car elle met la poésie au service du roman, ou le roman au service de la poésie ! Toutes les associations de mots qu’il a choisi donnent de la valeur aux histoires racontées et créent une langue aux variations qui nous collent à la peau, et nous mettent face à notre humanité, notre sensibilité, nos sentiments et notre intelligence.
J’ai aussi été marquée par les formules et les mots semés au gré des pages. Elles donnent la cadence à cette lecture dont on ne sort pas indifférent. Les Lumières d’Oujda sont un texte magnifique en lien avec l’actualité actuelle et future. En faisant cohabiter le slam, la poésie et la narration, l’auteur réinvente le roman sans oublier de nous émouvoir et de nous bousculer.
C’est une très belle plume ! Pour que le lecteur soit complètement happé, je suggère une lecture à voix haute.
FILLE, FEMME, AUTRE, Bernadine Evaisto – Globe Editions
Nous découvrons ici douze histoires entremêlées de femmes noires (britanniques). Leurs histoires servent de trajectoire à un débat sur le féminisme, la race et la sexualité. Des problématiques aussi intemporelles que contemporaines.
Fille, Femme, Autre, c’est une impressionnante galérie des personnages de ce roman : 11 personnages de femmes noires et un 12ème non-binaire. D’âges et de milieux différents, ils vivent diverses expériences et sont regroupés par 3 dans les chapitres. Cette mise en miroir de leurs trajectoires personnelles nous permet d’apprécier les liens étroits qui existent entre eux et qui font le pont entre les différentes parties du livre. En effet, s’il n’ y a pas une histoire commune, le fait d’être des personnes noires crée un maillage général. J’ai noté aussi que les écarts générationnels entre les personnages font réfléchir à la manière dont les idéologies changent ou ne changent pas au fil du temps.

Tout de même, il est difficile de prendre de la distance en lisant ces histoires car, même si elles ne me concernent pas directement, il y a toujours quelque chose (que je n’arrive pas à nommer) dans ces trajectoires singulières, qui me fait me demander si ces récits sont représentatifs des vécus des femmes noires qui m’entourent. De plus, l’imperfection et la complexité de chaque personnage nourrissent et approfondissent cette réflexion en suscitant tantôt de l’empathie, de l’admiration, de l’agacement ou de l’espoir. Finalement, s’il y a une chose que ces personnages ont en commun, c’est le fait d’être différent : évoluer en dehors du cadre, être hors norme, aller à contre-courant du courant majoritaire et dominant.
Du point de vue de la onstruction du texte, l’insertion des vers et la disposition du texte surprennent mais heureusement, on s’y habitue vite. L’écriture de Bernadine Evaristo est en effet vivante. Le grand intérêt de ce roman est qu’il va favoriser les débats autour de la littérature féminine noire homosexuelle.
LES JANGO, Abdelaziz Baraka Sakin – Zulma
C’est une immersion jouissive dans l’univers des Jango, un peuple que l’on retrouve à l’Est du Soudan, en Ethiopie et en Erythrée. Le genre, le rapport au travail, la sexualité, la tradition, la religion et la politique sont décortiqués dans cette partie du monde. J’y ai découvert la plume d’Abdelaziz Baraka Sakin dans ce roman. Elle est malicieuse et engagée.

Si l’on n’attend pas l’auteur sur ces thèmes (à cause du contexte culturel, politique et religieux de là où l’histoire se déroule), on est rapidement entraîné par sa narration à la fois enjouée et dénonciatrice. La construction du récit tient parfaitement. Le livre est un joyeux mélange de genres littéraires : roman, conte, fables, monologues, etc.,qui ne sont pas toujours faciles à suivre et à saisir. Mais c’est ce qui en fait un bel ouvrage.
J’ai beaucoup aimé voyager dans ce Soudan tolérant, à mille lieues des préjugés et des gros titres de la presse internationale. Que chacun se fasse sa propre idée en lisant le roman sans attendre !
LA DANSE DU VILAIN, Fiston Mwanza Mujila – Editions Métailié
C’est le roman qui a été primé pour l’édition 2021 du Prix Les Afriques ! Je lui ai donc consacré un article que vous pouvez lire ici 🙂
C’est ici que je clos ce retour de lecture. Il ne me reste plus qu’à vous souhaiter de belles lectures, en attendant de vous retrouver dans un prochain article !
Merci de me lire ❤
Très beau résumé des différents livres, qui donne vraiment envie de s’y plonger.
Merci de nous communiquer cette passion 👍😊
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Tout mon plaisir 🙂 ❤
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