[Best Readings of 2021] King Kong Théorie, Virginie Despentes

C’est un essai d’à peine 160 pages publié en 2006 chez Grasset. J’en avais beaucoup entendu parler dans des podcasts qui parlent du féminisme, du patriarcat et de la condition féminine.

Avant même de dire pourquoi cet essai occupe la deuxième place de mon classement des meilleures lectures de 2021, j’aimerai faire cette mise en garde : il faut être prêt(e) pour lire King Kong Théorie. La plume de Virginie Despentes est si crue qu’elle risque de vous rebuter à la seule lecture des titres des chapitres. Si vous passez ce stade, vous allez sans doute rechercher une crédibilité, une espèce de cohérence intellectuelle tant le texte est truffé de gros mots. Enfin, si vous décidez malgré tout de poursuivre, je ne serais pas étonnée de vous voir choqué ou dégouté de cette lecture. Et pour cause, King Kong Théorie est un essai dérangeant, troublant, violent, iconoclaste.

Virginie Despentes entrecroise ici ses réflexions et les expériences liées à son vécu pour interroger de manière très frontale :

  • les expériences de prostitution (nécessité, légitimité, etc.)
  • les traumatisme liés au viol
  • l’exploration des milieux et des pratiques pornographiques
  • la sexualité féminine
  • la définition originelle du féminin
  • la distinction politique des genres imposée vers la fin du XIXe siècle

Pour faire simple, la théorie King Kong de Despentes n’est rien d’autre que la démonstration de la réalité des rapports inégaux entre les hommes et les femmes dans une société fondamentalement patriarcale. Dans cette société, l’homme doit être viril et la femme doit être soumise. Il y a pour les femmes, des conséquences dramatiques en cas de non respect à cette injonction à la soumission permanente. Ces conséquences s’observent dans toutes les sphères de la vie des femmes. Rien de nouveau pensez-vous peut-être ? Il y a pourtant quelque chose de nouveau et de provoquant chez Despentes : les mots, le style, la radicalité et les arguments.

Parlons du viol par exemple. Virginie Despentes démontre en quoi la perception du viol par la société comme un mal inévitable lié à la virilité masculine est problématique. Si une femme veut être libre (la liberté est aussi vaste qu’il y a de femmes différentes), elle doit prendre (elle prend implicitement) le risque d’être violée. Et si viol il y a, elle doit prouver qu’elle n’était pas d’accord. Vous savez, les questions et les remarques sur son habillement, les raisons pour lesquelles elle se trouvait à tel endroit, à telle heure, et toutes les autres sottises que la société débite en cas de viol pour faire porter aux femmes, les victimes, la charge mentale et la responsabilité du crime qu’elles ont subi…

Les exemples argumentés sont nombreux dans cet essai. Plutôt que les lister et risquer de rendre mon billet indigeste, j’ai choisi de partager ici quelques extraits qui ont retenu mon attention. Encore une fois, ils sont trash. Il vaut mieux lire l’essai pour avoir une idée d’ensemble au lieu d’émettre un jugement qui me prend à partie ou qui prend à partie l’autrice.

« Plaire aux hommes est un art compliqué, qui demande qu’on gomme tout ce qui relève de la puissance. Pendant ce temps, les hommes, en tout cas ceux de mon âge et plus, n’ont pas de corps. Pas d’âge, pas de corpulence. N’importe quel connard rougi à l’alcool, chauve à gros bide et look pourri, pourra se permettre des réflexions sur le physique des filles, des réflexions désagréables s’il ne les trouve pas assez pimpantes, ou des remarques dégueulasses s’il est mécontent de ne pas pouvoir les sauter. Ce sont les avantages de son sexe. La chaudasserie la plus pathétique, les hommes veulent nous la refiler comme sympathique et pulsionnelle. Mais c’est rare d’être Bukowski, la plupart du temps, c’est juste des tocards lambda. Comme si moi, parce que j’ai un vagin, je me croyais bonne comme Greta Garbo. Etre complexée, voilà qui est féminin. Effacée. Bien écouter. Ne pas trop briller intellectuellement. Juste assez cultivée pour comprendre ce qu’un bellâtre a à raconter. »

« Je trouve ça formidable qu’il y ait aussi des femmes qui aiment séduire, qui sachent séduire, d’autres se faire épouser, des qui sentent le sexe et d’autres le gâteau du goûter des enfants qui sortent de l’école. Formidable qu’il y en ait de très douces, d’autres épanouies dans leur féminité, qu’il y en ait de jeunes, très belles, d’autres coquettes et rayonnantes. Fran­chement, je suis bien contente pour toutes celles à qui les choses telles qu’elles sont conviennent. C’est dit sans la moindre ironie. Il se trouve simplement que je ne fais pas partie de celles-là. »

« Je suis plutôt King Kong que Kate Moss, comme fille. Je suis ce genre de femme qu’on n’épouse pas, avec qui on ne fait pas d’enfant, je parle de ma place de femme toujours trop tout ce qu’elle est, trop agressive, trop bruyante, trop grosse, trop brutale, trop hirsute, toujours trop virile, me dit-on. Ce sont pourtant mes qualités viriles qui font de moi autre chose qu’un cas social parmi les autres. Tout ce que j’aime de ma vie, tout ce qui m’a sauvée, je le dois à ma virilité. C’est donc ici en tant que femme inapte à attirer l’attention masculine, à satisfaire le désir masculin, et à me satisfaire d’une place à l’ombre que j’écris. »

« Parce que l’idéal de la femme blanche, séduisante mais pas pute, bien mariée mais pas effacée, travaillant mais sans trop réussir, pour ne pas écraser son homme, mince mais pas névrosée par la nourriture, restant indéfiniment jeune sans se faire défigurer par les chirurgiens de l’esthétique, maman épanouie mais pas accaparée par les couches et les devoirs d’école, bonne maîtresse de maison mais pas bonniche traditionnelle, cultivée mais moins qu’un homme, cette femme blanche heureuse qu’on nous brandit tout le temps sous le nez, celle à laquelle on devrait faire l’effort de ressembler, à part qu’elle a l’air de beaucoup s’emmerder pour pas grand-chose, de toutes façons je ne l’ai jamais croisée, nulle part. Je crois bien qu’elle n’existe pas. »

J’ai aimé lire ce manifeste nécessaire contre l’assignation à un idéal féminin. Cependant, en le refermant j’ai été profondément attristée de réaliser que depuis 2006, année de sa parution, son contenu est malheureusement toujours d’actualité. C’est triste, c’est rageant, c’est même décourageant. Je pense que nous devons nous éduquer sur ces sujets et ne pas nous cacher derrière un certain ordre sociétal. Lorsqu’on comprend qui fait les règles, on accueille et comprend mieux la nécessité de mener de telles réflexions. Nous devons donc nous éduquer. Tous, hommes et femmes. Comme le rappelle si bien Virginie Despentes : « La virilité traditionnelle est une entreprise aussi mutilatrice que l’assignement à la féminité. »

Bref ! Bref ! Bref ! Il faut être prêt(e) pour lire ce livre.

Merci de me lire ❤

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