
Je suis heureuse de vous proposer en lecture ce billet consacré à des revues de littérature. Les livres dont je vais vous parler sont :
- Des baisers parfum tabac
- Un soupçon de liberté
- Les 700 aveugles de Biafa
- L’Haïtienne
DES BAISERS PARFUM TABAC, de Tayari Jones, aux Presses de la Cité
Le roman prend vie dans la classe moyenne noire d’Atlanta des années 1980, mais il y a également un contexte historique qui aide à comprendre comment les adultes de ce livre en sont arrivés là où ils sont. Car la situation est très compliquée. Dana Lynn Yarboro et Chaurisse Witherspoon partagent en effet le même père sans le savoir. Ce dernier, James Witherspoon, est bigame puisque marié aux mères des deux filles.
L’histoire et le sujet sont intéressants mais il ne se passe rien de retentissant jusqu’à la fin. Oui, on lit les états d’âme des deux protagonistes, on est en colère en lisant ce qu’il se passe, mais il manque quelque chose.

Parler de bigamie est une bonne chose. Quand c’est abordé dans la communauté noire c’est encore mieux car polygamie et bigamie y déchainent les passions. Lorsqu’en plus elle nous invite dans l’intimité de celles à qui elle s’impose (les enfants ici) il y a de quoi écrire un roman complexe sur l’amour, les secrets de famille et la transmission. Hélas, Tayari Jones passe complètement à côté ! Elle ne réalise pas l’exploit et pour cause ?
L’un des personnages principaux du roman n’est ni abouti, ni psychologiquement complexe. Je parle du père. Son effacement et sa personnalité qui n’apparait qu’à travers ses épouses et ses filles m’a insupporté. L’autre faiblesse que j’ai trouvé à ce livre, c’est le suspens qui est vite balayé. Compte tenu des évènements, on devine le dénouement. Les scènes ne sont pas haletantes et quand arrive le dénouement, il n’y a pas de feu d’artifice.
Malgré ces points d’entrave, j’ai apprécié que Tayari Jones ne prenne pas position et laisse au lecteur le loisir de se faire sa propre opinion. Ainsi, comme je n’ai pas trouvé mon compte dans le personnage du père bigame, je me suis intéressée à ceux des deux filles. Plus précisément, aux conséquences psychologiques de leurs schémas familiaux. La souffrance causée par l’éclatement de la cellule familiale, l’isolement social et les blocages psychologiques sont un tribut trop lourd à porter pour les enfants embarquées dans ce bazar. Voici donc ce que j’exploiterais dans ce roman si je devais en discuter ou le recommander.
UN SOUPÇON DE LIBERTÉ, de Margaret Wilkerson Sexton, chez Actes Sud
Entre 1944 et 2010, l’autrice nous offre en lecture l’histoire, sur trois générations, d’une famille africaine-américaine de la Nouvelle-Orléans qui essaie de s’épanouir et de déjouer les pièges du racisme structurel.
Le livre se lit facilement mais j’ai relevé des failles dans les deux premières parties. J’ai été davantage convaincue par la narration de la troisième partie (après l’ouragan Katrina). C’est comme-si l’autrice maîtrisait mieux cette époque et par conséquent, écrivait cette partie de sa fiction avec plus d’assurance. Pour les deux précédentes générations j’ai eu le sentiment qu’elle a écrit sur des choses qu’elle est supposée savoir, des choses dont elle a entendu parlé, et malheureusement, ça ne m’a pas semblé crédible.

Par dessus-tout, j’ai détesté voir des personnages cochées toutes les cases des stéréotypes collés aux Noirs aux Etats-Unis. C’est si difficile de défier la fatalité qui veut que les Noirs doivent toujours en baver ? Est-ce si rare de croiser des personnes noires qui ne passent pas par la prison, l’addiction aux drogues, la délinquance, l’alcool, la monoparentalité, la pauvreté et le défaitisme ?
Je n’ai pas aimé ce roman parce qu’il flatte trop facilement ces clichés misérabilistes sur les Noirs en général, les hommes africains-américains et les destins des enfants des familles noires en particulier. S’il n’y a rien d’original dans le choix des sujets traités car ils sont récurrents dans la littérature africaine-américaine, l’autrice aurait pu mieux mener sa barque en misant par exemple sur des personnages forts et en évitant les préjugés et les attendus, parce que le traitement (positif) des questions raciales aux Etats-Unis ou ailleurs, reste un enjeu important.
LES 700 AVEUGLES DE BAFIA, de Mutt-Lon, publié chez Emmanuelle Collas
Les 700 aveugles de Bafia traite de la politique du système de santé coloniale, ses conséquences et la gestion des bavures médicales au Cameroun. L’auteur écrit bien et le livre est fluide. Mais il y a un gros MAIS.
Le livre s’appuie sur des faits historiques mais il manque à ce récit une authenticité et une conformité effarante. Si l’ambition de l’auteur est de relater l’Histoire sans faire d’interprétation personnelle, pourquoi s’est-il empêché de distribuer équitablement la parole aux parties concernées (ici, la France et le Cameroun) ? Sincèrement, je me demande où est le devoir de mémoire.

Les 700 aveugles de Bafia sont un beau texte d’un point de vue littéraire. Du côté de ce qui est annoncé, c’est un texte prometteur pour l’Histoire et les prochaines générations. Malheureusement, son traitement n’en fait ni un écrit militant, ni un manifeste politique, et voici ce qui est dérangeant : la voix de l’étranger est celle qu’on entend, la voie de l’envahisseur est celle sur laquelle on marche. Où sont les autochtones (victimes, malades, non volontaires…) ?
Il y a en outre un gros problème avec le vocabulaire utilisé par Mutt-Lon : rétrograde, dégradant, déshumanisant et par moment négrophobe, du niveau de certains colons ! Je ne suis pas Camerounaise mais je ne pense pas que ce roman sera bien accueilli par les personnes originaires de Bafia.
Pour finir, malgré les talents d’écriture de l’auteur, je regrette fortement le prisme qu’il a choisi. Ce récit “unique” est très dangereux car exposé par un Camerounais. Le risque qu’il devienne parole d’évangile chez des lecteurs peu avisés est grand.
L’HAÏTIENNE, d’Isabelle Prod’Homme, Les Éditions Sydney Laurent
Ce livre retrace le parcours d’une femme Noire qui a accouché sous X, et l’errance de son enfant née sous X pour colmater les trous béants qui remplissent sa vie.
C’est une écriture correcte, sans plus. On a l’impression d’écouter une personne rapporter une histoire qu’on lui a racontée. Cette façon d’écrire n’a rien de romanesque puisque pour moi nous sommes en présence d’une production qui se situe entre le journal intime et le carnet de bord.

Toutefois, je souligne l’originalité de ce livre qui se trouve dans le sujet traité. Dans les littératures africaines et afro-descendantes, l’accouchement sous X et l’adoption sont des sujets très peu abordés. Approcher la quête de l’identité sous cet angle est une belle promesse de départ. Cependant, ce choix requiert de l’autrice une exigence à la fois littéraire, imaginative et humaine pour que le lecteur aille au-delà d’une simple lecture. Pour qu’il s’imprègne totalement du sujet, se projette, ou s’identifie. Pour qu’il s’émeuve.
C’est sur ces mots que je clos l’écriture de ces avis de lecture. Je vous dis à bientôt en vous souhaitant de belles lectures !
Merci de me lire ❤
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