[Focus] Aux jours de Paco (La Doxa), Bénicien Bouschedy & Denise Landria Ndembi

Dans ce très petit recueil de poèmes, Bénicien Bouschedy exprime une douleur et accompagne l’accablement d’une mère meurtrie par le décès de son fils. Paco à qui s’adresse leurs textes, était pour eux, un neveu et un fils.

Que nous reste-t-il lorsque impuissant(e)s, nous affrontons le départ d’un proche ? Que peut-on faire pour qu’ils continuent d’exister ? S’il existe de nombreuses façons de conserver vivant le souvenir de ceux et celles qui ne sont plus, Denise Landria Ndembi et Bénicien Bouschedy ont choisi les mots pour dire leur peine, leur tristesse, le vide qu’ils ressentent et l’angoisse de cette séparation imposée. Ensemble, ils nous offrent un texte juste et émouvant dans lequel le langage poétique tente d’accompagner le deuil.

Ce qui me frappe dans le premier poème du recueil porté par Bénicien Bouschedy, c’est l’usage majoritaire du « je » qui donne la parole au défunt. Je m’attendais à lire des phrases écrites à la deuxième ou à la troisième personne du singulier comme c’est souvent l’usage en pareille circonstance. Pourtant, il y a de la délicatesse et de la finesse dans l’écriture de Bénicien Bouschedy et sans exagération, sans connaître Paco, je me suis dit que ces mots auraient pu être les siens.

« Sans savoir la portée de son enfourchement,

je sentis les perforation de ses serres

mordre la muqueuse de ma peau

un peu halothane.

Qu’était-ce ?

le trident du diable

les caresses des anges

la vie qui me revenait

capricieuse

ou la mort

qui me prépare à l’accueil ?

destin accompli

suspendu à ce lit qui m’avait fait époux

sans attendre de réponse

j’allais loin des pleurs qui ne s’arrêteront plus »

Dans le deuxième poème, Bénicien Bouschedy s’exprime toujours à la première personne. Cependant, ici l’usage du « je » ne concerne plus son neveu disparu. Ce « je » met en relief le paradoxe auquel tous les survivants de la mort sont confrontés : la nécessité d’atténuer la douleur dans laquelle la mort nous plonge en perpétuant les souvenirs pour ne pas oublier l’être manquant.

Comment combler alors une absence, désormais éternelle, en entretenant ces précieux souvenirs qui trompent la souffrance ?

« Est-ce toi dans ce Ciel si paisible

muet et indifférent malgré nos cris

sous le nuage désemparé de la tristesse qui sévit

depuis l’annonce du deuil que j’écris

ô soleil

ô plaintes épuisées

ô vie

ô solitude

ô blessure affranchie de l’innocence

ô peur étranglée de mes sanglots ! »

J’ai découvert une autre face de Bénicien Bouschedy dans ces vers. En le lisant dans Silences de la Contestation (2016), Rêve Mortel (2017), Cendre de Maux (2018) et Souffle Equatorial (2019), j’ai vu que ses poèmes naissent des souffrances qu’il ressent et des corruptions sociétales et sociales, et tels des explosifs, ils produisent une onde choc qui laisse rarement les lecteurs indifférents.

La véhémence caractéristique de ses dires s’efface ici pour révéler une voix tiraillée que « l’ivresse du deuil finit et exige de chausser la prière ». J’ai aimé entrevoir cette facette du poète bossué.

« mais il y aura toujours d’autres soirs

qui riront de nos joies à renouveler

des soirs aux lieux visités

pour admirer des couchers tardifs du soleil

des soirs au bout des empreintes

lectures traquées d’expériences

qui ont voulu changer notre monde

sur des brindilles charnues de nos rêves

des soirs qui valent bien leur survie aux souvenirs

à ces souvenirs qui ne tomberont

au-delà de la prédication du temps

des hommes qui bailleront leur départ sans ruine »

Dans la deuxième partie du recueil, j’ai découvert, émue, les affres d’une mère qui tente de dire l’indicible en faisant face au deuil de son fils. Avec une belle économie de mots, Denise Landria Ndembi se confie avec courage sur son affliction.

Dans la lettre posthume qu’elle écrit à son Paco, j’ai lu avec beaucoup d’embarras et de tendresse néanmoins, l’évocation de ces choses très personnelles, mais nécessaires, pour faire le travail du deuil. Ma lecture n’a pas consisté en une recherche d’esthétisme littéraire ou poétique. Ici, ce qui a compté, c’est donner leurs lettres de noblesses à ces mots qui s’efforcent de dénouer un à un les liens d’amour qui la reliaient à ce fils à jamais perdu. J’ai été touchée et déchirée par les pensées de cette mère qui essaie, depuis le 12 mai 2018, de rendre supportable l’absence éternelle de son enfant. Et les mots dévoilent ici, une fois de plus, leur pouvoir : Paco, absent, reste présent ; il est présent comme absence.

Finalement, le prix à payer pour ceux et celles qui restent, pour cette mère endeuillée, c’est dire à sa mémoire de garder l’absence pour que la perte soit acceptable. C’est diriger dès l’aurore ses premières pensées vers son enfant parti trop tôt. C’est l’appeler au matin et lui parler avant de s’endormir. C’est s’apaiser et être bercé par le souvenir de sa voix. C’est survivre au chagrin. C’est survivre aux soupirs. C’est devoir continuer à vivre. C’est continuer à le faire vivre.


« Mon fils Paco, les plus grandes peines se vivent seul(e) et dans le secret. Le secret des quatre murs et dans le noir. Ce noir qui parcourt ma vie depuis ce 12 mai 2018. Ils me diront de tourner la page. Je leur répondrai que notre page ne peut se tourner ; elle reste ouverte, car elle tient sur un verso. »

C’est avec la prudence d’un artificier que j’ai pénétré dans ce lieu d’expression des silences et des douleurs. Il fallait en effet que je sois à la bonne distance pour à la fois m’imprégner de l’œuvre et m’en détacher, pour ne pas me laisser submerger par mes émotions. Pour moi, l’écriture du vécu dépasse les confessions et va bien au-delà du témoignage.

Je suis reconnaissante d’avoir lu ces textes qui, je l’espère, ont aidé notre duo d’auteurs à relever la tête. Je ne peux que vous le recommander même si vous ne traversez pas une période de deuil. C’est une lecture qui vous conduira peut-être aussi sur le chemin de l’écriture expressive pour, qui sait, exorciser vos maux.

Merci de me lire !

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